25 mai 2020

Joseph Dietsch : facteur d’orgues, marchand de meubles et chercheur …




J
oseph Dietsch (°Dijon, 18 novembre 1818-†15 septembre 1890), dans un ouvrage resté manuscrit[1], a donné, le premier, des renseignements précis sur les frères Riepp et les Callinet…

            Joseph Dietsch, est le frère cadet de [Pierre] Louis Dietsch (Dijon, 17 mars 1808 – † Paris, 20 février 1865). Ce dernier, chef des chœurs, puis chef d’orchestre de l’opéra de Paris, fut aussi un compositeur reconnu de musique religieuse, maître de chapelle à Saint-Paul Saint-Louis, à Saint-Eustache, à Saint-Roch et à l’église de la Madeleine[2]. Leur père, Gotthold Dietsch (Apolda[3] 24 juillet 1782 – † Dijon 15 novembre 1867), était installé comme fabricant de bas, puis tailleur d’habits et fripier, à Dijon, dans le quartier de l’église Notre-Dame[4].
            Joseph Dietsch s’est intéressé très jeune à la facture d’instruments. Il avoue avoir commencé à travailler avec l’organiste de la cathédrale : Jacques-Reine Paris, esprit curieux et inventif, qui avait créé à la maîtrise une fabrique pour produire un instrument qu’il avait inventé. En 1832, Joseph Dietsch, âgé de 14 ans, aide Joseph Delor dans son travail de relevage du grand orgue de Saint-Bénigne[5]. Quelques années plus tard, c’est probablement son frère et Félix Danjou qui l’ont incité à partir à Paris « Au mois d’Août 1836, Danjou et mon frère, en allant visiter l’orgue de Fribourg récemment construit, passèrent par Dijon où ils demeurèrent quelques jours (ma connaissance avec Danjou date de là) ». Il va donc à Paris et apprend le métier de facteur d’orgues auprès de Louis Callinet. Il dit avoir travaillé au total 12 ans, avec Louis Callinet d’abord, puis, à partir de 1839, chez Daublaine-Callinet où il était chargé principalement des tournées d’entretien et d’accords[6]. Il a donc beaucoup voyagé et vu beaucoup d’orgues, en France, en Algérie, et à l’étranger à l’occasion de ces tournées.
            Il participe à la restauration du grand orgue de Saint-Bénigne par Ducroquet, successeur de Daublaine-Callinet. 
Joseph Dietsch a gravé son nom sur la balustrade de la tribune du grand orgue de Saint-Bénigne de Dijon
Celle-ci s’achève en juin 1848. La révolution de février 1848 ayant asséché le carnet de commandes de la maison Ducroquet, il décide de rester à Dijon. Début 1849, domicilié chez son père, rue Notre-Dame, il fait les accords des orgues en Bourgogne et Franche-Comté pour Ducroquet, et cherche des travaux sur place, proposant notamment, en mai 1849, ses services à Saint-Jean-de-Losne, pour un relevage[7].
            En septembre 1849, il épouse la fille d’un marchand de meubles dijonnais[8]. Pour occuper ses loisirs, il construit un petit orgue qu’il parvient à placer à la chapelle de l’hôpital en 1852[9], alors qu’il a déjà abandonné le métier de facteur d’orgues pour reprendre l’affaire de ses beaux-parents.
Ce petit instrument, sans tuyaux de montre parlants (ils sont en bois, recouverts de papier d’étain) a été construit en 1848-49 avec les débris de l’ancien orgue de Saint-Bénigne qui venait d’être terminé. Les quatre grands sommiers du grand orgue, en superbe bois de chêne, après avoir été démontés m’ont suffi pour faire le sommier, le soufflet et le mécanisme. Les tuyaux d’étain et ceux qui sont en étoffe sont d’anciens tuyaux de Saint-Bénigne réajustés, réparés diapasonnés et remis en harmonie. Il n’y a de neuf que le clavier, les tuyaux en bois, le hautbois et le jeu d’Euphone à anches libres. Je l’ai vendu à l’Hôpital le 14 mars 1852 moyennant la somme de 3000 Fr. […] l’orgue n’a qu’un seul clavier de 54 touches -4 octaves ½ - le pédalier en tirasse a 18 touches. En voici la composition : Flûte de 8 pieds – Bourdon de 8 p. – Prestant – flûte de 4 p. – Dessus de doublette – basse de doublette, dessus de Hautbois – basse d’Euphone. En tout 6 jeux, 8 registres[10].
            Pour les raisons qu’on lira ci-dessous, bien dans le goût de l’époque, ce petit orgue reçoit un bon accueil de la part des organistes dijonnais, dont la presse locale se fait l’écho :
Nous étions conviés avec quelques personnes favorisées à entendre l’essai d’un orgue que l’hôpital vient d’acquérir d’un facteur de notre ville, M. Dietsch.
Cet instrument est remarquable par une grande pureté de son, une égalité parfaite dans les différents jeux qui le composent. Ce qu’il y a de plus remarquable dans cet instrument, c’est un jeu d’Euphone, jeu moderne, dont le timbre ne ressemble en rien aux clairons ni aux trompettes des anciennes orgues, un jeu à anches libres dont la sonorité charme l’oreille, et qui se trouve tellement en rapport avec le vaisseau de la chapelle qu’on le croirait fait exprès. La continuation de ce jeu est un hautbois d’une qualité de son parfaite. En somme, cet instrument fait le plus grand honneur à M. Dietsch, et il est regrettable que ce jeune facteur ait renoncé à une carrière où de grands succès l’attendaient.
L’instrument que nous avons entendu n’occupe point encore la place qui lui est destinée ; le buffet manque encore.
Le croquis du buffet dessiné par M. l’architecte Petit nous a semblé s’harmoniser parfaitement avec le style de la chapelle.
Plusieurs artistes dijonnais ont essayé l’orgue de M. Dietsch, et M. Grognet [sic] organiste de Saint-Michel en a surtout fait sentir toutes les beautés par la distinction avec laquelle il a touché plusieurs charmants morceaux[11]
            D’autres journaux ayant malencontreusement, à cette occasion, présenté Joseph Dietsch comme « l’élève de son frère, facteur d’orgues à Paris » ! une mise au point, publiée la semaine suivante, nous renseigne exactement sur sa situation début 1852 :
La réception du charmant orgue dont M. Dietsch a enrichi la chapelle de l’hôpital de Dijon est déjà un fait un peu vieux sur lequel nous avons cependant quelques mots à dire, afin de couper court à toutes les équivoques, dont le but, à coup sûr n’est pas la bienveillance.
M. Dietsch, qu’il ne faut pas confondre avec son frère, l’habile artiste, élève de notre maîtrise (dans le bon temps), chef des chœurs de l’opéra et compositeur, qui occupe un des premiers rangs pour la musique sacrée. M. Dietsch auteur de l’orgue en question a occupé pendant 8 à 10 ans le rang de contre-maître dans la maison Daublaine et Callinet, un des deux plus importants ateliers de facture d’orgue. Cet artiste n’eut jamais quitté le rang honorable qu’il occupait dans cette maison et des occupations qui étaient si bien dans ses goûts, sans la catastrophe de février.
Il revint à la fin de 1848 dans sa ville natale et l’instrument dont il est question est le fruit de ses loisirs forcés. Depuis lors, M. Dietsch est à la tête d’un commerce d’ébénisterie ; mais il n’a pas dit pour cela son dernier mot comme facteur d’orgues[12].
            Toujours intéressé par tout ce qui touche à l’orgue et la musique, Joseph Dietsch reste en relations avec son frère, bien sûr, avec lequel il correspond beaucoup, et qu’il va voir souvent à Paris[13], avec l’Abbé Schwach directeur de la maîtrise de la cathédrale de Dijon, avec Félix Danjou et avec son « savant ami M. l’Abbé Ply », il suit les travaux de restauration de l’orgue de Saint-Bénigne par Merklin en 1860. Il dit avoir été sollicité ensuite pour entrer à la direction de la Société Anonyme, lors du départ de Joseph Merklin :
(p.320)
(152) J’ai grâce à Dieu, depuis ma sortie de la maison conservé soit avec elle, soit avec ceux qui lui ont succédé les plus amicales relations. Vers 1872, Mr. Merklin (qui avait repris la suite de Mr. Ducroquet, mon dernier patron, s’est séparé de la Société anonyme pour la fabrication des grandes orgues : cette société, dont il était l’âme, s’est trouvée désorganisée. A la tête d’une entreprise artistique comme une fabrique d’orgues, il faut un nom connu, ce nom, Merklin l’avait, comme avant lui l’avaient eu la Maison Daublaine-Callinet, Danjou, Barker et Ducroquet. La Société Anonyme restait donc avec ce seul titre par trop anonyme. Au moment de la dissolution, elle me dépêcha Charles Vervoitte [14], qui lui portait encore un vif intérêt. Il avait mission de m’engager à apporter peut-être moins ma personnalité que le nom de mon frère dans cette affaire. Dietsch est un nom dans le clergé et dans le monde artistique, surtout celui qui s’occupe de musique religieuse. On m’offrait une position, une sorte de gérance, on aurait voulu en invoquant mon ancien séjour dans cette maison mettre le nom de mon frère en vedette. J’aurais eu à m’occuper non d’un travail manuel, mais des affaires générales de la facture. De plus on m’offrait sans que j’eusse aucune mise de fonds à apporter de bons appointements, un appartement dans la maison etc..etc… Vervoitte en mon absence, sollicitait ma femme et mes enfants pour qu’ils me décident à accepter. Mais, non, j’avais quitté depuis trois ou quatre ans mon commerce, je désirais depuis si longtemps me reposer, vivre modestement et tranquillement pour moi et les miens : rien ne put me séduire et me faire abandonner mon pays natal, et j’ai toujours répondu non, non. Je n’ai pas eu à le regretter, malgré les chagrins de famille qui m’ont accablé depuis cette époque. Quelques temps après, la maison a quitté Paris pour aller se fixer à Bruxelles.
            En effet, après la mort de son frère le 20 février 1865, et de son père le 15 novembre 1867[15], Joseph Dietsch, retiré de son commerce de meubles, et installé 34, rue Saint-Pierre (aujourd’hui rue Pasteur), a encore eu à déplorer le décès de sa mère, le 3 juillet 1873, à 90 ans, à l’Hôpital de Dijon[16], et surtout, de son fils Denis, âgé de 23 ans, le 27 octobre 1874[17] et de sa fille cadette Georgette, à 18 ans, le 10 avril 1877[18].
            On le consulte pour les affaires d’orgues dans la région : le 6 septembre 1880, avec Joseph Wackenthaler organiste de la cathédrale de Dijon, Stephen Morelot et Verschneider organiste de la métropole de Besançon, il fait partie de la commission de réception du relevage de l’orgue de Dole par Ghys[19], il suit encore la reconstruction des orgues de Saint-Michel de Dijon par le même Ghys et en 1884 il participe à la réception de l’instrument.
            Enfin - et c’est ce qui lui vaut aujourd’hui la reconnaissance des chercheurs -  à la fin de sa vie, il se consacre aux recherches historiques sur les orgues de Dijon et de la Côte d’Or. Il publie en 1884 une étude très documentée sur la musique à la Sainte-Chapelle de Dijon[20] et consigne ses souvenirs et l’ensemble des résultats de ses recherches dans un manuscrit de presque 400 pages achevé en 1888 : Dijon, les orgues, les organiers, 1427-1887.

            En plus des informations de première main qu’il a collectées comme facteur d’orgues à partir des années 1837, et qu’il a pu obtenir aussi auprès de son frère, Joseph Dietsch a découvert et transcrit, dans les fonds d’archives départementales, municipales et paroissiales, nombre de documents sur les orgues de Dijon et de la Côte d’Or avant, pendant, et après la Révolution. Grâce aux contacts qu’il a noués avec le P. Kuhn d’Ottobeuren, il a écrit la première biographie de Charles-Joseph Riepp, dont il a exploré aussi la descendance française.
            Si Joseph Dietsch manifeste une admiration sans borne pour son maître Louis Callinet, il reste très neutre vis-à-vis des Callinet de Rouffach : il était acquis aux idées de Félix Danjou et zélateur de la maison parisienne pour laquelle il a travaillé.
            C’est le patriotisme bourguignon qui l’incite à parler des Callinet de Rouffach, dont il précise les origines en Côte-d’Or à Ladoix-Serrigny. Il reconnaît qu’ils ont construit beaucoup d’orgues, mais n’a finalement pas beaucoup d’estime pour leur travail.
            Plusieurs de ses informations sur les Callinet ne sont pas exactes et certaines ont été rectifiées par des travaux ultérieurs, mais il était leur contemporain, et ses écrits, mis à part quelques erreurs et imprécisions, contiennent l’essentiel des connaissances utilisées, aujourd’hui encore, sur leurs origines et plusieurs de leurs travaux hors d’Alsace. A ce titre, il est utile de relire ces textes, en les plaçant dans le contexte de l’époque.
Jacques Gardien a largement puisé dans ce manuscrit[21]. Son ouvrage a été - notamment pour P. Meyer-Siat[22]-, la source principale des informations sur les origines des Callinet.



                                                             


[1]. Joseph Dietsch, Dijon, les orgues, les organiers, 1427-1887, (1888) Bib. Mun Dijon, ms 1818. [MSJD]
[2]. Cf. Vincent Morel, Inventaire des compositeurs bourguignons xix-xxe siècle, mission d'étude réalisée pour Musique Danse Bourgogne, 2008.
[3]. En Saxe, près de Weimar. Venu à Dijon en 1806, il avait épousé une Dijonnaise : Jeanne Bachellier, le 19 août 1807. Archives départementales de la Côte d’Or : AD21 État Civil Dijon 5Mi 9R 142.
[4] Cf. Pierre Marie Guéritey, « Les Callinet et leur œuvre hors d’Alsace (1) », Revue Historique de l’Orgue en Alsace n°3, 2010, p. 33-36.
[5]. [MSJD] p. 128, l’instrument inventé par Paris était un hautbois à clavier qu’il avait fait breveter sous le nom d’hamoniphone. Cf. aussi : Pierre Marie Guéritey, Le grand orgue de la cathédrale Saint-Bénigne de Dijon : 1745-1995, Dijon : Euromuses et AOCD, 1995, 158 pages, ill.. Page 63 note 7.
Joseph Dietsch indique aussi que Joseph Delor avait collaboré avec Joseph Callinet pour les travaux effectués aux orgues de Saint-Michel et Notre-Dame de Dijon.
[6]. [MSJD] p. 139.
[7]. Arch. Mun. de Saint-Jean-de-Losne 1M24 : visite de l’orgue le 30 avril et devis du 1er mai 1849, qui ne sera pas accepté. L’orgue de Saint-Jean-de-Losne sera relevé en 1852 par Rothé.
[8]. AD21 Etat-civil Dijon 5 Mi 9 R 220. Le 12 septembre 1849, il épouse Madeleine Favotte, fille d’un marchand de meubles, domicilié 9, rue Verrerie. En mai 1851, il effectue encore des tournées d’accords pour Ducroquet dans le Jura et la Saône et Loire, et il aurait continué aussi à entretenir l’orgue de Saint-Bénigne si le conseil de fabrique n’en avait décidé autrement.
[9]. Cet orgue a disparu depuis longtemps.
[10]. [MSJD] p. 208.
[11]. Journal « L’Union Bourguignonne » du 10 mars 1852, l’article a été écrit par Grogney lui-même.
[12]. Ibid. 17 mars 1852.
[13]Charles Poisot, Notice sur Louis Dietsch, lue à l’Académie de Dijon, le 31 janvier 1877, Dijon : Lamarche, 1877, 71p.
[14]. Alors maître de chapelle de l’église Saint-Roch à Paris, inspecteur des orgues et des maîtrises.
[15] Dijon, Etat civil AD21 2 E 239/309.
[16]. Dijon, Etat civil AD21 2 E 239/328.
[17]. Dijon, Etat civil AD21 2E 239/331.
[18]. Dijon, Etat civil AD21 2E 239/340.
[19]Pierre Marie Guéritey, Les organistes de Dole de la construction du grand orgue par Riepp à la fin du Concordat, Université Lyon II, mémoire de DEA, 1981, et aussi : Pierre Marie Guéritey, Karl Joseph Riepp et l’orgue de Dole, thèse de doctorat en musicologie soutenue devant l’université Lyon II, dir. Daniel Paquette, 15 juin 1985, Bron, impr. Ferréol, 1985, 2 vol., 649 p., ill., planches ; p. 379.
[20]. Joseph Dietsch, « Souvenirs de la Sainte-Chapelle du Roy : les maîtres de chapelle, les organistes », Bulletin d'histoire et d'archéologie religieuses du diocèse de Dijon, 1884, pp. 31-36 & 76-81. Eugène Fyot a largement profité de cette publication pour son article « la Maîtrise de la Sainte Chapelle à Dijon » (Revue de Bourgogne, vol VIII, pp. 44-52).
[21].Jacques Gardien, L’orgue et les organistes en Bourgogne et en Franche-Comté au dix-huitième siècle, Paris: Librairie E. Droz, 1943, 577 p.
Evidemment, Jacques Gardien, qui a révélé un nombre très important de documents inédits, ne s’est pas contenté de recopier le manuscrit de Dietsch ! Mais il y fait souvent explicitement ou implicitement référence. J’en parle ici librement, car j’ai aussi beaucoup utilisé ce manuscrit pour mes recherches sur les orgues en Bourgogne, dès le début des années 1980, et j’estime qu’il est juste de parler ici un peu de Joseph Dietsch, un des premiers explorateurs des archives pour les orgues…
[22]. Meyer-Siat, Pie, Les Callinet facteurs d’orgues à Rouffach et leur œuvre en Alsace, Strasbourg : librairie Istra, 1965, 457 pages, ill.

17 janvier 2020

Madame Riepp (suite)


La vérité sur l’affaire Anne-Françoise Eve (2)
Le mystère des caves de Monsieur Riepp



Le samedi 3 juin 1775, presque un mois après la mort de Riepp, survenue le 5 mai, la maison « de l’Aumonerie », rue de la Pévoté, appartenant aux bénédictins de Saint-Bénigne et dont Riepp était locataire est toujours sous scellés. Cette situation est évidemment inconfortable pour sa veuve qui demande la levée de ces scellés…
Mais il faut l’accord des nombreux créanciers qui se sont manifestés depuis le 5 mai.
A cours d’une audition qui l’oppose à ces créanciers, présents ou représentés par leur procureur, Anne-Françoise Ève expose par quels moyens elle va les désintéresser et obtient la levée des scellés.

Les créanciers posent leurs conditions :
Les religieux de l’abbaye de saint-Bénigne consentent à la levée des scellés à plusieurs conditions :
« 1° Que les pièces de vin qui sont dans les caves tant dans cette ville qu’à Vosne seront comptées par le gardien qui en tiendra un état dont un double sera remis aux vénérables
2° Que le marché pour la vente de ces vins sera fait en présence du célerier de l’abbaye
3° Que l’argent qui proviendra de la vente des vins sera déposé entre les mains de Maître Molle notaire de l’abbaye »
Un autre créancier important demande que
« le double de l’inventaire des vins requis par les Pères Bénédictins sera déposé entre les mains du notaire Molle … »
La maison de Riepp au village de Vosne

A la lecture de ces conditions, le chercheur se dit qu’on va enfin savoir quels vins Riepp avait dans ses caves tant à Dijon que dans sa maison de Vosne : il y en avait certainement beaucoup et du meilleur…

Eh bien non, il a fallu renoncer à en savoir plus : nous n’avons trouvé dans les minutes du notaire Molle aucune trace de cet inventaire - qui a certainement eu lieu- ni de la vente qui a peut-être suivi. Les registres du contrôle des actes n’ont même pas révélé un acte sous seing privé…
Les caves de Charles-Joseph Riepp marchand de vins conservent donc aujourd’hui leur mystère et c’est bien dommage…
En effet, après la mort d’Anne-Françoise Eve, (2 janvier 1779), lors de l’inventaire de la maison, le 4 mars 1779 :
« dans la cave il s’est trouvé ce qui suit
huit bouteilles de vin daliquant et trois bouteilles vides estimés trois livres    3#
quatorze vieux marts ( ?) estimés avec une ronde vingt sols                         1#
une planche percée avec six autres planches estimés vingt sols                   1#
plusieurs planches de fruitier estimé cinq sols                                                 5s
un tonneau où il y a quarante pintes de vin estimé dix livres                          10#
une feuillette où il y a de la lie estimée 20 sols                                                 1#
une autre feuillette ou il s’est trouvé cinquante pintes estimé huit livres           8# »

c’est tout et c’est bien peu…

01 mai 2019

Concerts 2019 aux orgues Riepp


A Dole :
Concerts organisés par l'Association des amis de l'orgue de Dole


Les petits concerts du marché
Les samedis à 11h30

13 juillet : Thomas PELLERIN
(Angers)

20 juillet : Aude HEURTEMATTE
(Paris, Eglise Saint Gervais)

27 juillet : Muriel GROZ
(Voiron, Chambéry)

03 août : André ROSSI
(Marseille)

10 août : Thilo MUSTER
(Bâle, Arlesheim)


Dimanche 06 octobre  17h30
Récital chant et orgue

Gabriel WOLFER
Orgue
(Porrentruy Sainte Ursanne)
Benoît ARNOULD
Baryton
(Paris)

An evening Hymn
Campra - Charpentier - Couperin
Purcell - Philips
  
A Dijon :

Concerts organisés par l’Association des amis de l'orgue de la cathédrale Saint Bénigne

Dimanche 28 avril, 17 h
Christian VORBECK.
Vitten, Allemagne
Jean-Sébastien Bach œuvres d’orgue célèbres

Dimanche 12 mai, 17 h
JOUR DE L’ORGUE EN FRANCE
Jean-Pierre LEGUAY,
célébration de son 80e anniversaire
improvisations à l’orgue.
Christian SCHMITT,
récitant
Orgue & récitant,
Sermon de Bossuet


JUILLET (concerts à 18 h)  ESTIVALES DE L’ORGUE

Dimanche 21 juillet
Michael HARRIS.
Cathédrale St Gilles. Edinburg. Écosse
Récital d’orgue

Mercredi 24 juillet
Jakob LORENTZEN et
Monica STEVNS, soprano
Église Royale de la marine.
Copenhague. Danemark
Concert Chant et orgue

Dimanche 28 juillet
Gabriele GIACOMELLI.
Dom de Florence. Italie
Récital d’orgue

Renseignements AOC :
Tél : 06 83 91 46 29
E.mail : orguecathdijon@aol.com
Web : dijonorguecathedrale.org

Entrée libre à tous les concerts, collecte pour participation aux frais.
FREE ENTRANCE collection for contribution to costs.

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Bientôt, le second épisode de notre série "la vérité sur l'affaire Anne Françoise Eve" :

le mystère des caves du sieur Riepp



08 janvier 2019

Madame Riepp


 

La vérité sur l’affaire Anne-Françoise Eve (1)


Il y a 240 ans mourait à son domicile, rue de la Prévoté à Dijon la veuve du facteur d’orgues  Charles-Joseph Riepp, décédé moins de quatre ans auparavant, le 5 mai 1775 (Cf : https://karljosefriepp.blogspot.com/2010/05/dijon-6-mai-1775-macabre-decouverte.html )
Madame Riepp en 1766
« Dlle Anne Eve Vve du Sieur Charles Joseph Riepp, Md en cette ville agée d’environ soixante un ans est décédée sur cette paroisse le deux janvier 1779. Et a été inhumée le Trois du même mois au grand cimetière de cette paroisse En présence de Messieurs les prêtres et des témoins soussignés
Trouvé               Molée       Menu curé »
(AD21, Paroisse Saint Philibert, BMS 1779)
Anne Françoise Ève était née à Dole le 30 mars 1718 :
« Anne Françoise, fille d’antoine Eve et de charlotte Marchand sa femme est née le 30 et a été baptizée le trente et un mars 1718 ; les parrein et marreine sont françois philipe Eve et anne françoise Fournier et ont signé fr P Eve Saulnier ptre vic. »
Le 4 avril 1741, devant Magdelaine notaire à Dole, en la maison de sa grand-mère Anne Fournier, cette riche héritière d’une grande famille doloise s’engage à prendre pour époux le facteur d’orgues allemand Charles-Joseph Riepp. Elle manifeste son caractère en déclarant :
 
« En présence des quels notaire et témoins, la dlle future épouse a déclaré aud. Sr futur époux que nonobstant l’affection sincère qu’elle a pour luy ce seroit pour elle le sujet de la plus grande douleur sil venoit a la tirer de sa famille pour la conduire en Allemagne, quelle luy avoit toujours dit combien elle avoit de répugnance a aller dans un royaume ou province dont elle n’entendoit pas la langue et ou elle ne seroit elle meme pas entendue et que c’était à cette condition quelle avoit consenti au mariage.
Surquoy le Sr futur époux luy a répondu qu’il désiroit si fort de rendre sa vie heureuse et tranquil qu’il chercheroit toutes les occasions a luy laisser jouïr des consolations de sa parenté et la assuré en son honneur qu’il ne songeoit a faire aucun autre établissement qua dole, que si cependant l’état de leur affaire les engeoit a un autre établissement, ce ne pourrait être que dans le duché ou comté de bourgogne et que s’il venoit a rompre cette promesse il luy donneroit pouvoir desaprésent de jouïr de ses biens comme biens paraphernaux (*) pour que sa vie soit plus douce tandisqu’il feroit quelque entreprise dans des paÿs autres que les deux cydessus. »
(* Biens paraphernaux : biens qui sont la possession d'une femme mariée sans faire partie de sa dot et qu'elle peut administrer à sa convenance).
Le 18 avril, le mariage est célébré en la collégiale Notre-Dame de Dole, en présence de nombreux témoins, parmi lesquels on remarque les amis de Riepp : le peintre Pierre Morlot (1716-1784) et l’organiste Claude Rameau (1690-1761).
Le 3 mars 1742 nait le premier enfant : Charles Robert Joseph, dont le parrain est Robert Riepp et la marraine, la mère d’Anne Eve : Charlotte Marchand.
Ensuite, le couple s’installe à Dijon paroisse Saint-Philibert dès 1743, et loue la « maison de l’Aumonerie » aux bénédictins de Saint-Bénigne. De nombreux enfants naissent, jusqu’en 1764 (Madame Riepp a alors 46 ans …) ; au total 10, dont seules survivront Jeanne-Françoise (Dijon 16 février 1753 -† Vosne 22 août 1802) et Claude (Dijon 6 octobre 1754- † 28 janvier 1812)
Le 17 octobre 1769, au domicile de Charles Joseph Riepp, rue de la Prévôté, devant le notaire Molle et de nombreux témoins parmi lesquels François Trouvé, abbé de Cîteaux oncle du futur, Dom Alexandre Denise, procureur de l’abbaye et aussi le peintre Pierre Morlot et Louis Weber, facteur d’orgue, compatriote et bras droit de Riepp, Jeanne Françoise Riepp s’engage à prendre pour époux Barthélemy Trouvé (Champagne-sur-Vingeanne, 9 février 1738-†Vosne 13 novembre 1804), conseiller au Parlement ; Le mariage est célébré le 24 octobre, en l’église Saint-Philibert de Dijon.
Ce mariage ne s’est pas fait par hasard : Charles-Joseph Riepp, a obtenu dès 1747 des lettres de naturalité et a été reçu le 13 janvier1748 dans la communauté des marchands de vin en gros et en détail de Dijon. Avec Madame Riepp, il entretenait d’étroites relations avec l’abbaye de Cîteaux et avec l’abbé de Salem Anselm II, qui ont perduré jusqu’à la fin de la vie de Riepp…
Madame Riepp, selon ses vœux n’a jamais accompagné son mari dans ses nombreux voyages en Allemagne, à Ottobeuren et à Salem, pour la construction des orgues, le commerce des vins ou les affaires de l’ordre cistercien. Elle avait procuration générale et traitait les affaires du couple à Dijon pendant les absences de Riepp. Dès le début des années 1760, ils achètent des vignes dans les meilleurs climats de la côte de Nuits, à Chambolle, Morey, Vosne, Gevrey… Charles Riepp et Anne Ève se sont ainsi construit un grand domaine viticole…
Fin 1774, Riepp revient de Salem où il a terminé la construction des orgues de l’abbaye ; il est malade ; le 13 avril 1775, il signe au profit de son fidèle compagnon Louis Weber une obligation de 12428 Livres représentant 20 années de gages qu’il n’a jamais payés… le 5 mai 1775, il meurt… Les scellés sont apposés sur la maison de la rue de la Prévoté. De nombreux créanciers accourent, mais Anne Ève et Barthélemy Trouvé font aisément lever les scellés : l’actif pouvait largement couvrir les dettes…
C’est en effet ce que j’ai écrit dans ma thèse, en 1985 p. 54,
« La légende répandue par J.A. Silbermann selon laquelle Riepp serait mort en faillite laissant sa veuve dans la misère est fausse. Il avait des dettes certes mais les domaines qu’il avait su acquérir dans les dix dernières années de sa vie pouvaient en répondre ».
 
Dans les archives Silbermann, éditées par Marc Schaeffer, Jean-André Silbermann écrit : (p 304 )
1782 :
„Im Julio hörte ich vom M. Lausserois von Dijon, der ein guter Organist und Liebhaber von Orgeln ist, dass Herr Riepp als ein Banqueroutier gestorben. Dann ob er zwar viel verdient hat und viele Arbeit gemacht, so hat er gar viel Arbeit die nicht gut war, zweymahl machen müssen“
« 1782 En juin, j’ai entendu dire par M. [Pierre-Philibert] Lausserois de Dijon, qui est un bon organiste et amateur d’orgues que Riepp était mort banqueroutier. Bien qu’il ait beaucoup travaillé et fait beaucoup de chantiers, il a fait beaucoup de travaux qui n’étaient pas bons et qu’il a dû refaire deux fois »,
et M. Schaeffer, citant ma thèse, ajoute en note :
„Diese Behauptung ist unzutreffend. Riepp hinterließ zwar Schulden, aber sein Grundbesitz war beachtlich. Lit Nr 61 S; 54 ».
« Cette opinion est infondée, certes, Riepp laissait des dettes, mais les domaines qu’il possédait pouvaient en répondre ».
Je confirme : Riepp n’est pas mort en faillite parce qu’il aurait du reconstruire deux fois des orgues mal construits. Mais entre mai 1775 et la fin de 1778, sa veuve et son gendre se sont organisés. L’annonce de Pierre-Philibert Lausserois en 1782 à Jean-André Silbermann ne concerne pas la mort de Riepp, mais la succession de Madame Veuve Riepp, ouverte le 2 janvier 1779, qui va déclencher pour certains de rudes épreuves et défrayer la chronique dijonnaise jusqu’au-delà de l’année 1782.
(à suivre…)
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Pierre Marie Guéritey, Karl Joseph Riepp et l’orgue de Dole, thèse de Doctorat en musicologie sous la direction de Daniel Paquette, Université Lyon II, juin 2015, Bron, Imprimerie Ferréol, 1985.
Marc Schaefer, Das Silbermann-Archiv : der handschriftliche Nachlass des Orgelmachers Johann Andreas Silbermann (1712-1783) herausgegeben von Marc Schaefer, Winterthur, Schweiz : Amadeus, 1994, 560 p.
Jacques Gardien, L’orgue et les organistes en Bourgogne et en Franche-Comté au dix-huitième siècle, Paris, Librairie E. Droz, 1943.
AD 21; AD39; Arch. Mun. Dole; Arch. Mun. Dijon; Generallandesarchiv Karlsruhe.
 
P.M. Guéritey 08 01 2019