La vérité sur l’affaire Anne-Françoise Eve (1)
Il y a 240 ans mourait à son
domicile, rue de la Prévoté à Dijon la veuve du facteur d’orgues Charles-Joseph Riepp, décédé moins de quatre
ans auparavant, le 5 mai 1775 (Cf : https://karljosefriepp.blogspot.com/2010/05/dijon-6-mai-1775-macabre-decouverte.html
)
« Dlle Anne Eve Vve
du Sieur Charles Joseph Riepp, Md en cette ville agée d’environ
soixante un ans est décédée sur cette paroisse le deux janvier 1779. Et a été
inhumée le Trois du même mois au grand cimetière de cette paroisse En présence
de Messieurs les prêtres et des témoins soussignés
Trouvé Molée Menu curé »
(AD21,
Paroisse Saint Philibert, BMS 1779)
Anne Françoise Ève était née
à Dole le 30 mars 1718 :
« Anne
Françoise, fille d’antoine Eve et de charlotte Marchand sa femme est née le 30
et a été baptizée le trente et un mars 1718 ; les parrein et marreine sont
françois philipe Eve et anne françoise Fournier et ont signé fr P Eve Saulnier
ptre vic. »
Le 4 avril 1741, devant Magdelaine
notaire à Dole, en la maison de sa grand-mère Anne Fournier, cette riche
héritière d’une grande famille doloise s’engage à prendre pour époux le facteur
d’orgues allemand Charles-Joseph Riepp. Elle manifeste son caractère en
déclarant :
« En
présence des quels notaire et témoins, la dlle future épouse a
déclaré aud. Sr futur époux que nonobstant l’affection sincère
qu’elle a pour luy ce seroit pour elle le sujet de la plus grande douleur sil
venoit a la tirer de sa famille pour la conduire en Allemagne, quelle luy avoit
toujours dit combien elle avoit de répugnance a aller dans un royaume ou province
dont elle n’entendoit pas la langue et ou elle ne seroit elle meme pas entendue
et que c’était à cette condition quelle avoit consenti au mariage.
Surquoy
le Sr futur époux luy a répondu qu’il désiroit si fort de rendre sa vie
heureuse et tranquil qu’il chercheroit toutes les occasions a luy laisser jouïr
des consolations de sa parenté et la assuré en son honneur qu’il ne songeoit a
faire aucun autre établissement qua dole, que si cependant l’état de leur
affaire les engeoit a un autre établissement, ce ne pourrait être
que dans le duché ou comté de bourgogne et que s’il venoit a rompre cette
promesse il luy donneroit pouvoir desaprésent de jouïr de ses biens comme biens
paraphernaux (*) pour que sa vie soit plus douce tandisqu’il feroit quelque entreprise
dans des paÿs autres que les deux cydessus. »
(* Biens
paraphernaux : biens qui sont la possession d'une femme mariée sans faire
partie de sa dot et qu'elle peut administrer à sa convenance).
Le 18 avril, le mariage est
célébré en la collégiale Notre-Dame de Dole, en présence de nombreux témoins,
parmi lesquels on remarque les amis de Riepp : le peintre Pierre Morlot (1716-1784)
et l’organiste Claude Rameau (1690-1761).
Le 3 mars 1742 nait le
premier enfant : Charles Robert Joseph, dont le parrain est Robert Riepp
et la marraine, la mère d’Anne Eve : Charlotte Marchand.
Ensuite, le couple
s’installe à Dijon paroisse Saint-Philibert dès 1743, et loue la « maison
de l’Aumonerie » aux bénédictins de Saint-Bénigne. De nombreux enfants
naissent, jusqu’en 1764 (Madame Riepp a alors 46 ans …) ; au total 10, dont
seules survivront Jeanne-Françoise (Dijon 16 février 1753 -† Vosne 22 août
1802) et Claude (Dijon 6 octobre 1754- † 28 janvier 1812)
Le 17 octobre 1769, au domicile
de Charles Joseph Riepp, rue de la Prévôté, devant le notaire Molle et de
nombreux témoins parmi lesquels François Trouvé, abbé de Cîteaux oncle du futur,
Dom Alexandre Denise, procureur de l’abbaye et aussi le peintre Pierre Morlot
et Louis Weber, facteur d’orgue, compatriote et bras droit de Riepp, Jeanne
Françoise Riepp s’engage à prendre pour époux Barthélemy Trouvé
(Champagne-sur-Vingeanne, 9 février 1738-†Vosne 13 novembre 1804), conseiller
au Parlement ; Le mariage est célébré le 24 octobre, en l’église Saint-Philibert
de Dijon.
Ce mariage ne s’est pas fait
par hasard : Charles-Joseph Riepp, a obtenu dès 1747 des lettres de
naturalité et a été reçu le 13 janvier1748 dans la communauté des marchands de
vin en gros et en détail de Dijon. Avec Madame Riepp, il entretenait d’étroites
relations avec l’abbaye de Cîteaux et avec l’abbé de Salem Anselm II, qui ont
perduré jusqu’à la fin de la vie de Riepp…
Madame Riepp, selon ses vœux
n’a jamais accompagné son mari dans ses nombreux voyages en Allemagne, à
Ottobeuren et à Salem, pour la construction des orgues, le commerce des vins ou
les affaires de l’ordre cistercien. Elle avait procuration générale et traitait
les affaires du couple à Dijon pendant les absences de Riepp. Dès le début des
années 1760, ils achètent des vignes dans les meilleurs climats de la côte de
Nuits, à Chambolle, Morey, Vosne, Gevrey… Charles Riepp et Anne Ève se sont
ainsi construit un grand domaine viticole…
Fin 1774, Riepp revient de
Salem où il a terminé la construction des orgues de l’abbaye ; il est
malade ; le 13 avril 1775, il signe au profit de son fidèle compagnon
Louis Weber une obligation de 12428 Livres représentant 20 années de gages
qu’il n’a jamais payés… le 5 mai 1775, il meurt… Les scellés sont apposés sur
la maison de la rue de la Prévoté. De nombreux créanciers accourent, mais Anne Ève
et Barthélemy Trouvé font aisément lever les scellés : l’actif pouvait
largement couvrir les dettes…
C’est en effet ce que j’ai
écrit dans ma thèse, en 1985 p. 54,
« La
légende répandue par J.A. Silbermann selon laquelle Riepp serait mort en
faillite laissant sa veuve dans la misère est fausse. Il avait des dettes
certes mais les domaines qu’il avait su acquérir dans les dix dernières années
de sa vie pouvaient en répondre ».
Dans les archives
Silbermann, éditées par Marc Schaeffer, Jean-André Silbermann écrit : (p
304 )
1782 :
„Im Julio hörte ich vom M. Lausserois von Dijon,
der ein guter Organist und Liebhaber von Orgeln ist, dass Herr Riepp als ein
Banqueroutier gestorben. Dann ob er zwar viel verdient hat und viele Arbeit
gemacht, so hat er gar viel Arbeit die nicht gut war, zweymahl machen müssen“
« 1782 En juin, j’ai
entendu dire par M. [Pierre-Philibert] Lausserois de Dijon, qui est un bon
organiste et amateur d’orgues que Riepp était mort banqueroutier. Bien qu’il
ait beaucoup travaillé et fait beaucoup de chantiers, il a fait beaucoup de
travaux qui n’étaient pas bons et qu’il a dû refaire deux fois »,
et M. Schaeffer, citant ma
thèse, ajoute en note :
„Diese Behauptung ist unzutreffend. Riepp
hinterließ zwar Schulden, aber sein Grundbesitz war beachtlich. Lit Nr
61 S; 54 ».
« Cette opinion est
infondée, certes, Riepp laissait des dettes, mais les domaines qu’il possédait
pouvaient en répondre ».
Je confirme : Riepp
n’est pas mort en faillite parce qu’il aurait du reconstruire deux fois des
orgues mal construits. Mais entre mai 1775 et la fin de 1778, sa veuve et son
gendre se sont organisés. L’annonce de Pierre-Philibert Lausserois en 1782 à
Jean-André Silbermann ne concerne pas la mort de Riepp, mais la succession de
Madame Veuve Riepp, ouverte le 2 janvier 1779, qui va déclencher pour certains
de rudes épreuves et défrayer la chronique dijonnaise jusqu’au-delà de l’année
1782.
(à
suivre…)
________________________________
Pierre Marie Guéritey, Karl Joseph Riepp et l’orgue de Dole, thèse de Doctorat en musicologie sous la
direction de Daniel Paquette, Université Lyon II, juin 2015, Bron,
Imprimerie Ferréol, 1985.
Marc Schaefer, Das
Silbermann-Archiv : der handschriftliche Nachlass des Orgelmachers Johann
Andreas Silbermann (1712-1783) herausgegeben von Marc Schaefer, Winterthur,
Schweiz : Amadeus, 1994, 560 p.
Jacques Gardien, L’orgue et les organistes en Bourgogne et en
Franche-Comté au dix-huitième siècle, Paris, Librairie E. Droz, 1943.
AD 21; AD39; Arch. Mun. Dole; Arch. Mun. Dijon; Generallandesarchiv
Karlsruhe.
P.M. Guéritey 08 01 2019
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